La vulnérabilité, c’est ce qui nous touche au plus profond : on en a peur, on veut la protéger, on ne sait pas faire pour y donner accès. Et pourtant, la vulnérabilité est la voie obligée de l’authenticité, et de l’intimité, dans la mesure où l’on sait comment l’exprimer, et à qui.
Article de Ketsia BONNAZ, publié le 8 juin 2021
1. Vulnérabilité et authenticité
Lorsque je travaille dans la gestion de projet humanitaire, l’une de mes missions est d’identifier les personnes les plus vulnérables, de manière à nous assurer qu’elles soient prises en charge de la meilleure manière. Les critères de vulnérabilité sont définis par la fragilité de ces personnes face à un risque. Ainsi, les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées sont souvent considérées comme plus « vulnérables », c’est-à-dire nécessitant davantage de précautions pour s’assurer de leur bien-être – comparés aux autres adultes en capacité de se débrouiller plus facilement.
Rapporté à notre fonctionnement personnel, nous sommes vulnérables de ces choses qui sont le plus fragile en nous, le plus sensible, et qui risquent d’être impactées négativement de manière plus rapide ou intense si les risques venaient à avoir lieu. Dans un précédent article, je parle de l’allégorie du Prince, du Crapaud et des Masques : en chacun de nous réside une part noble et belle (le Prince) ainsi qu’une part sombre et dure (le Crapaud), que nous cherchons à cacher derrière des masques pour faire bonne figure et nous protéger. Le Prince et le Crapaud, aussi opposés soient-ils, sont notre part authentique, vraie, ce que nous sommes au plus profond de nous.
Parfois, il nous semble possible de l’exprimer au monde, parfois cela paraît trop risqué, et notre vulnérabilité est alors cachée par un comportement tout autre. Il y a ces personnes aimantes et sensibles qui sentent la nécessité d’être dures et autoritaires pour se faire respecter, ces personnes doucereuses et flatteuses qui cachent une manque de confiance en soi criant, ceux qui s’imposent mais qui ont besoin de se sentir acceptés, les timides en retrait qui pourraient avoir tellement à dire… la liste est longue.
>> Et vous ? Pouvez-vous envisager votre vulnérabilité comme la partie la plus précieuse de qui vous êtes, que vous pouvez protéger ou partager selon les circonstances, et dans tous les cas, accepter comme faisant partie de votre « moi » authentique ?
Trop souvent, nous confondons vulnérabilité et faiblesse. Ou vulnérabilité et blessures.
La nuance que j’aimerais appuyer, c’est que l’on peut se sentir vulnérable, ou décider de se rendre vulnérable. Dans la suite de cet article, je ne parlerai pas des situations d’abus ou de violence qui nous placent dans une vulnérabilité que nous ne choisissons pas. Cela n’est jamais acceptable. La vulnérabilité dont je parlerai c’est celle qui nous appartient et que l’on peut décider de partager, ou pas.
2. Prétendre, ça coûte
Je me rappelle d’une discussion avec un client sur la question de la vulnérabilité dans sa dimension professionnelle : comment être authentique dans ses forces et ses limites, tout en restant « employable » et suscitant la confiance de ses clients ? Comment accepter le feedback sans être complètement déstabilisé ? Comment sortir de sa zone de confort sans insécuriser son manager ou ses équipiers ?
Et j’ai émis une idée : et si le coût d’avoir à prétendre que l’on est parfait, était supérieur au coût de l’authenticité ?
Parce que porter des masques et les maintenir ça coûte cher ! Ça coûte beaucoup d’énergie à être quelqu’un que l’on n’est pas, ça coûte de la créativité à maintenir une image irréelle au lieu de l’utiliser à se développer, ça coûte parfois une grande souffrance d’être en inadéquation avec ses valeurs et son identité, ça peut coûter la perte de relations importantes, de la frustration…
Et s’il était moins épuisant et moins pesant de reconnaître ses limites que de les cacher ou prétendre ne pas les avoir ?
Alors oui, la vulnérabilité coûte aussi, surtout du côté de l’ego.
Je me rappelle lorsque j’ai commencé à partager sincèrement mes difficultés avec mon manager, ou dire à un client que je n’étais pas compétente sur tel ou tel point… cela n’a pas été facile, mais je me suis sentie plus libre. Plus en accord avec moi-même. Et alors, nous avons trouvé des solutions bien plus efficaces, parce que nous étions plusieurs à les chercher et notre énergie était catalysée vers la solution et non cacher le problème.
>> Et vous ? Avez-vous déjà calculé le coût des masques que vous portez ? Et s’il était possible de faire différemment ?
3. Vulnérabilité : l’une des clés de l’intimité
Je suis persuadé que la vulnérabilité est une voie non-négociable vers l’intimité : partager honnêtement ses émotions, poser des limites saines, faire entendre ce qui est important, exprimer ses valeurs, ses peurs, ses espoirs… Tout cela est nécessaire pour se connaître, et approfondir nos relations.
J’aime beaucoup la chanson « Unstoppable » de la chanteuse Sia, qui parle de ces masques qui empêchent l’amitié profonde. Voici un extrait librement traduit :
Tous sourires, je sais comment tromper le monde,
Je vous dirai ce que vous voulez entendre,
Je garde mes lunettes noires alors que mes larmes coulent.
J’enfile mon armure pour vous montrer combien je suis forte… Rien ne peut me stopper
Je sais : on dit que partager ses sentiments
Est la seule manière de faire grandir les amitiés
Mais j’ai trop peur.
J’enfile mon armure pour vous montrer combien je suis forte…
Il ne peut pas y avoir d’intimité sans se rendre vulnérable, sans laisser à l’autre la possibilité de voir en nous, de nous connaitre vraiment, de nous comprendre un peu. Et vice versa. Il y a de la beauté à l’ouverture des cœurs, au petit pas vers l’avant fait pour rejoindre l’autre.
Je me rappelle d’une rencontre avec des clients que j’ai menée il y a quelques années : à une question de l’un des participants, j’ai simplement reconnu que je n’avais pas la réponse. Un autre participant est venu me voir à la fin de la rencontre en me disant : « Si tu dis que tu ne sais pas, tu perdras ta crédibilité ». Je lui ai répondu qu’au contraire, montrer mes limites fait de moi une meilleure professionnelle. Et je cite ici une autre cliente : « Lorsque tu m’as dit que ce n’était pas ton domaine de compétence, cela m’a bousculée, mais du coup j’ai eu davantage confiance en toi parce que je me suis dit que pour tout le reste de ton accompagnement, tu le faisais parce que tu te sentais capable de le faire. »
>> Et vous ? Comment envisagez-vous de vous rendre vulnérable dans vos relations ?
4. Se rendre vulnérable sans tout risquer
Alors, se rendre vulnérable, oui, mais pas à n’importe quel prix non plus. Parce qu’il y aura toujours des personnes malveillantes qui cherchent à manipuler, prendre le pouvoir ou ridiculiser. Et parce que nous sommes humains et que nous ne faisons pas toujours les meilleurs choix, les personnes qui nous connaissent le mieux ont le plus de possibilité de nous blesser.
Voici quelques réflexions pour ouvrir sa vulnérabilité, sans tout risquer :
Sachez pourquoi vous vous rendez vulnérable, ce qui va naître de partager qui vous êtes vraiment. Par exemple, se rendre vulnérable permet aux personnes qui vous sont chères de vous connaître plus en profondeur (amis, relation amoureuse et autres). Cela peut permettre de créer des ponts avec des personnes qui éprouvent ou pourraient éprouver des difficultés, le fameux : « Tu vas y arriver, mois aussi je suis passé par là ». Partager sa vulnérabilité peut aussi donner du contexte à un événement ou une réaction : « Je vis des moments difficiles dans ma famille en ce moment et je suis émotionnellement à fleur de peau ce qui ne justifie pas mais explique ma réaction… »
Attention ici aux manipulateurs qui veulent tout savoir de vous sans rien dire d’eux, ceux qui ne sauraient pas reconnaître la valeur de votre intimité. Ou ceux qui jouent la carte de « je dis ma vérité » pour justifier leurs actions ou paroles blessantes.
Évaluez si vous vous sentez en sécurité dans le contexte. L’opportunité de partager de votre vulnérabilité a-t-elle lieu dans la bienveillance et la confidentialité ? Vous sentez-vous à l’aise de partager ? Si ce n’est pas le cas, à vous de voir si cela vaut la peine, pour éviter la trahison. Souvent, il peut être sage d’exprimer sa vulnérabilité pas à pas, de manière à tester la confiance et la réciprocité avant de partager davantage.
Partagez sur les choses avec lesquelles vous êtes à l’aise. Il s’agit ici de confiance en soi. Plus on est soi-même affermi dans son identité, plus on se connaît dans ses forces et ses limites, plus il est possible de partager sa vulnérabilité sans trop risquer. Vous pouvez choisir quels éléments de votre intimité vous allez partager, et avec qui. Par exemple : je peux être transparente sur mes limites professionnelles avec un étudiant, sans lui laisser la porte d’entrée à ma vie sentimentale.
>> Et vous ? Savez-vous mesurer lorsqu’il peut être important de vous ouvrir un peu plus, dans un contexte favorable et sur les questions pertinentes ?
5. Sachons faire preuve de grâce
Tous à un moment ou un autre, nous n’avons pas su accueillir la vulnérabilité d’autres personnes, ou nous l’avons mal considérée, ridiculisée, non écoutée. De la même manière, nous avons été blessés, trahis, dépréciés par des personnes à qui nous nous sommes ouverts.
Sachons faire preuve de grâce.
Sachons faire preuve de grâce et d’acceptation envers nous-même.
Sachons faire preuve de sagesse à connaître nos limites et à les exprimer.
Sachons faire preuve de grâce dans l’accueil des autres tels qu’ils sont, lorsqu’ils ne sont pas aussi parfaits que nous aimerions qu’ils soient.
Notes :
- Crédit photo : pixabay.com
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